Laudare, colere, praedicare Dominicum Le culte de saint Dominique de Caleruega dans l’Ordre des Prêcheurs
Numéro spécial de Archivio italiano per la storia della pietà, 2021
Conçu pour clôturer l’année jubilaire des 800 ans de la naissance au ciel de saint Dominique (1221-2021), le dernier numéro de Archivio italiano per la storia della pietà rassemble huit contributions, dont quatre françaises, d’historiens et d’historiens de l’art. Chaque auteur s’est interrogé sur la perception de la sainteté de Dominique, fondateur de l’Ordre des Prêcheurs, par les membres de son Ordre. Tour à tour sont évoqués des portraits en mots et en images, traduisant la quête de son visage, de ses traits physiques et de ses valeurs morales, programmatrices pour son Ordre. Sans être un bilan exhaustif et scientifique, le volume offre une approche de sujets trop souvent méconnus.
Saint Dominique et sa mission Gianni Festa, Augustin Laffay Avec la collaboration de Coralie Machabert et Claire Rousseau Paris, Le Cerf, 2021 Prix : 20 euros (2021)
À l’occasion des 800 ans du dies natalis de saint Dominique (6 août 1221), Gianni Festa (postulateur de l’Ordre des Prêcheurs) et Augustin Laffay (archiviste général de l’Ordre des Prêcheurs) proposent un nouvel ouvrage sur saint Dominique. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une biographie mais de regards croisés sur la figure du fondateur de l’Ordre des Prêcheurs. Ainsi, si la première partie retrace l’itinéraire du saint, en trois étapes, la deuxième s’intéresse davantage à la façon dont la vie du fondateur fut relue, dès sa mort, par les membres de son Ordre. De cette construction progressive de la mémoire se dégagent des accents de vie qui ont façonné et coloré l’identité de ses Frères et de ses Sœurs et enclenché une manière de vivre, de célébrer, d’étudier, de prêcher propre aux dominicains. Par la mission et le labeur de tout son Ordre, le visage et la geste de saint Dominique ont fécondé l’Église et résonné dans le monde, marquant l’Histoire. Dans une troisième partie, une quinzaine d’œuvres d’art offrent quelques témoins d’une iconographie dégagée de la quête récurrente d’un portait unique, précieux et rare qui donnerait à voir le « vrai » visage de Dominique. La valorisation, dans le cadre ce huitième centenaire de la mort de Dominique, de la Tavola de la Mascarella conservée à Bologne n’échappe pas à ce vœu pieux. Le panneau en cours d’analyse scientifique est présenté en une quatrième partie. L’ouvrage s’enrichit d’une chronologie établie par Simon Tugwell et de quelques indications bibliographiques. En tête de l’ouvrage, le lecteur trouvera la préface du maître général, Gerard Francisco Timoner III. Dans la version italienne du livre, la lettre du pape François (Praedicator gratiae) et une présentation par l’archevêque de Bologne viennent sertir la mémoire de Dominique au sein de l’Église universelle.
Pour une présentation en vidéo de la version italienne, cliquer ici.
Les images de dévotion en Europe (XVIe-XXIe siècle) Une précieuse histoire Dominique Lerch, Kristina Mitalaité, Claire Rousseau, Isabelle Séruzier, dir. Paris, Beauchesne, 2021 En souscription jusqu’à la parution, prévue en juin 2021 : 29 euros. Après parution : 42 euros.
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Les objets de dévotion (images, chapelets, statuettes, chemins de croix portatifs…) font partie de la vie quotidienne des chrétiens depuis des siècles. La bibliothèque dominicaine du Saulchoir (Paris) est reconnue comme un point de passage obligé pour leur étude. Sa collection d’images de dévotion, qui compte plus de 200 000 pièces classées, constitue un corpus majeur dans ce domaine encore peu étudié.
Depuis la recherche pionnière d’Adolf Spamer en 1930 et, beaucoup plus tard, l’exposition sur Un siècle d’ images de piété, 1814-1914 organisée au Musée-galerie de la SEITA en 1984, ce corpus et d’autres collections ont commencé à être défrichés. Mais il manquait une confrontation des diverses approches de ces images et un bilan ouvrant des pistes de recherches, à l’exemple des catalogues d’exposition réalisés à Piombino. Pour combler cette lacune, un colloque international, « Précieux souvenirs : histoire de l’imagerie de dévotion en Europe », organisé par la bibliothèque du Saulchoir en collaboration avec l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, s’est tenu à Paris les 21 et 22 novembre 2019.
Ce volume rassemble les contributions des intervenants à ce colloque, qui a accordé une large place aux collectionneurs et tracé de riches perspectives. Après un rappel de l’intérêt manifesté par l’ordre des Prêcheurs pour les images de dévotion, il offre un aperçu des recherches portant sur la création, l’édition et la diffusion en France de ces images, mais aussi sur leur iconographie et les courants artistiques qui les ont illustrées, sur la place qu’y tient l’histoire et sur leurs usages, y compris dans le monde protestant. Si la France occupe une place privilégiée dans ces études, plusieurs spécialistes élargissent notre regard en se penchant sur la production des images de dévotion en d’autres pays européens : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne. Un volume essentiel pour mieux mesurer la diversité inattendue de ces images et leur fonction dans la société, et ainsi mieux cerner certains aspects du christianisme vécu en Europe du XVIe siècle à nos jours.
SOMMAIRE
Préface, Joseph DE ALMEIDA, o.p. Des images pour des yeux curieux. De l’imagerie de dévotion à l’ « art de Saint-Sulpice », Isabelle SAINT-MARTIN
Première partieL’Ordre des Prêcheurs face à l’image de dévotion La collection d’images de piété de la Bibliothèque du Saulchoir, Michel ALBARIC, o.p. Entre images de dévotion et gravures d’illustration : la série dominicaine de la famille Landry, Claire ROUSSEAU, o.p. Penser les images de dévotion à partir des hypothèses de Serge Bonnet sur le catholicisme populaire Yann RAISON DU CLEUZIOU Trois générations de missels et leurs images, Michel MALLÈVRE, o.p. Deuxième partie Création, édition et diffusion en France (XVIIe-XXe siècle) L’image de dévotion mise en scène du XVIIe au XIXe siècle : canivets, papiers roulés et colifichets, Bernard BERTHOD L’image d’Épinal, support de dévotion populaire au XIXe siècle, Christelle ROCHETTE Les images pieuses peintes sur feuille de gélatine, Jean-Pierre DOUSSIN D’Orléans à Paris : les éditions d’imagerie religieuse Blanchard et Pannier, une histoire de familles, Marie Pierre ELAUDAIS-BLANCHARD Les images de dévotion et l’imprimatur diocésain (1865-1965) : prologue à une réflexion Dominique LERCH
Troisième partieIconographie et courants artistiques Monument à la gloire de Marie Commemorating the Klauber brothers in 19th century Paris, Peter STOLL Claudius Lavergne et l’imagerie de piété : de Gustave Doré à Louis-Joseph Hallez, Auriane GOTRAND Les peintres nazaréens et l’image de dévotion en France (1850-1960), Dominique LERCH Les illustrateurs d’images pieuses de 1850 à nos jours, Évelyne SIGOILLOT-MEYER
Quatrièmepartie Usageset pratiques autour de l’image de piété Y a-t-il une image de dévotion protestante ? Les petites images bibliques protestantes, Gustave KOCH Des images à vivre. Thérèse de Lisieux et l’image de piété à la fin du XIXe siècle, Sylvie MANUEL-BARNAY Un siècle d’histoire de France à travers des images pieuses (1840-1960), Christian EHRMANN De l’usage de l’image de dévotion en Italie au XXe siècle. Propagande politique et campagnes militaires, les santini militari, Biagio GAMBA Souvenirs mortuaires français (1840-1889), Bruno BLASSELLE L’image de dévotion chrétienne sur les réseaux numériques, David DOUYÈRE
Cinquième partieL’image de dévotion : regards européens Les études sur l’image de dévotion en Allemagne. D’Adolf Spamer à nos jours, Konrad VANJA L’image de dévotion en Espagne, Jean-François BOTREL L’image de dévotion dans la République des Provinces-Unies au XVIIe siècle, Évelyne VERHEGGEN L’image de piété en Pologne à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècle) Christine MOISAN-JABLONSKI
Conclusion, Jean-Claude SCHMITT
Bibliographie Index Les auteurs
Recension par le journal La Croix, 28 octobre 2021
Par Dominique Greiner
Les images de dévotion ont modelé la sensibilité chrétienne populaire, en dehors de tout contrôle clérical.Les Images de dévotion en Europe (XVIe– XXIe siècle). Une précieuse histoire
Nous avons tous eu entre les mains une de ces images rappelant un événement religieux – communion, ordination, engagement dans une association pieuse, pèlerinage, deuil – ou incitant à la dévotion. Nous l’avons ensuite soigneusement sinon pieusement glissée dans une bible ou un missel, où elle en a rejoint d’autres plus anciennes. Il nous arrive de retomber dessus, d’y voir une scène biblique, une figure de saint, un communiant, et d’y lire un nom, une date, une maxime, un verset de l’évangile. De telles images, la bibliothèque dominicaine du Saulchoir (Paris) en détient plus de 200 000.
Cette collection si particulière est à l’origine d’un colloque qui s’est tenu en novembre 2019, à Paris, et a réuni des spécialistes de différentes disciplines, des conservateurs ou de simples collectionneurs. Ce volume collectif, qui comprend une trentaine de pages en couleurs pour montrer ces images, en recueille les actes. Il offre un aperçu des recherches sur la création, l’édition et la diffusion de ces images (et leurs déclinaisons : colifichets, canivets, paperoles, scapulaires) en France mais aussi dans d’autres pays européens, et montre l’intérêt de ce corpus longtemps négligé, car c’est une source importante de documentation sur la foi populaire.
Ces images de piété, acquises, données, échangées, conservées, ont – comme d’autres objets de dévotion maniés au quotidien – modelé la sensibilité chrétienne pendant plusieurs siècles. S’intéressant au seul corpus des images de piété, environ 220, retrouvées dans les livres et le bréviaire de Thérèse de Lisieux, Sylvie Manuel-Barnay souligne combien celles-ci ont nourri l’imagination de la sainte carmélite et ont influencé son écriture et ses réalisations artistiques.
Ces images témoignent aussi de la profonde inscription de la ritualité catholique, sur les plans individuel, familial et social. « Les images de dévotion sont à la fois l’instrument et la manifestation du caractère social des rites catholiques qui s’intègrent à un groupe et contribuent donc à le constituer. La famille d’abord mais aussi au-delà, la paroisse et les cercles de l’amitié et du voisinage. À cette fin, les images rappellent la mémoire et prolongent l’effet des rites de passage qui sont la matrice de la condition chrétienne dans sa dimension sociale », relève Yann Raison du Cleuziou.
« Les images permettent aussi de mesurer l’importance de l’Église comme matrice de collectifs : troupes scoutes, pèlerins de Chartres, groupes de retraitants », indique encore ce spécialiste de l’histoire du catholicisme contemporain. Elles sont « une traduction matérielle d’une culture orale et visuelle du langage religieux populaire » qui échappe de fait au contrôle clérical.
Les images sont « l’équivalent religieux des “antennes-relais” car elles permettent de diffuser le sacré et élargissent par conséquent les voies d’accès à Dieu ou aux saints. Elles sont le réseau “bas débit” de la piété », le missel étant « l’album “Panini” où se collectent ces souvenirs, une réserve de mémoire, de résolutions et d’émotions », risque Yann Raison du Cleuziou. C’est pourquoi il ne faut pas s’arrêter à la qualité esthétique de ces images, estime Bernard Berthod, conservateur du Musée d’art religieux de Fourvière à Lyon. Ce serait passer à côté d’une fonction essentielle qu’elles remplissent : « Ces objets sont, avant tout, des outils de médiation entre la terre et le ciel, le monde visible et le monde invisible, pour les fidèles modestes comme pour les princes de ce monde. »
Ces images qui témoignent de l’évolution des dévotions et des goûts esthétiques sont aussi parfois des « outils de propagande, d’adhésion ou de contestation », par exemple quand elles rapportent la version catholique de certains événements récents, relève Christian Ehrmann, un collectionneur d’images de missel.
Finalement, le lecteur de ces actes comprend que les images sur lesquelles il peut tomber ne sont pas seulement des traces du passé. Les noms, les dates, les lieux, les événements qui y sont inscrits racontent l’histoire d’une foi incarnée et donc un passage de témoin d’une génération à l’autre. Pour que cette histoire continue.
L’art des missions catholiques au Japon (XVIe-XVIIe siècles) Sylvie Morishita
Préface de François Bœspflug
Paris, Le Cerf, 2020 (Cerf Patrimoines)
348 p.
Depuis dix ans, les études consacrées à l’art lié aux premières missions catholiques au Japon se sont multipliées. Citons, par exemple, celle de Teresa Canepa (« Namban Lacquer for the Portuguese and Spanish Missionaries », Bulletin of Portuguese – Japanese Studies, 2009, 18-19, p. 253-290) et plus récemment celle de Rie Arimura (« Nanban Art and his Globality: a Case Study of the New Spanish Mural The Great Martyrdom of Japan in 1597″, Historia y Sociedad, 2019, 36, p. 21-56). Il manquait cependant une synthèse en langue française, accessible au grand public. L’ouvrage de Sylvie Morishita, issu de son travail doctoral, vient combler ce vide.
Grâce à un premier chapitre qui relate le cadre historique des missions et à un deuxième faisant état de la survivance du corpus, le lecteur novice n’est pas désemparé. Il peut ensuite saisir pleinement les enjeux de ce double mouvement artistique, de l’Europe vers le Japon et du Japon vers l’Europe. Subtilement, s’entremêlent des données économiques et des espérances prosélytiques habilement soulevées par les jésuites, mal servies – il faut le reconnaître – par l’Ordre des Prêcheurs. Les œuvres d’art préservées, par confiscation des autorités japonaises ou par le soin des catholiques japonais persécutés, témoignent à elles seules de ces échanges. Cependant, les documents manquent pour justifier, par exemple, la présence d’estampes à sujets dominicains, à moins que l’effigie de saint Hyacinthe, dévot de la Vierge Marie, n’ait été qu’un moyen parmi d’autres de promouvoir le culte marial. Sous cet angle, l’estampe figurant saint Bernard agenouillé devant une apparition de la Vierge avec l’Enfant Jésus jouerait le même rôle.
Le corpus d’estampes conservé à Tokyo et à Kobe est sans doute restreint par rapport aux importations réalisées par les Ordres religieux aux XVIe et XVIIe s. mais il est suffisant pour témoigner de l’incroyable circulation entre l’Europe et le Japon de ces feuilles qui, bien pressées, prenaient relativement peu de place dans les bateaux. Sylvie Morishita y consacre un passionnant chapitre en tête de la deuxième partie.
Ces estampes ont sans nul doute inspiré des copies japonaises, tant en gravure qu’en peinture. Il faut sans doute accepter, plus que ne le fait l’auteur, qu’il s’agit de transferts avec des adaptations techniques propres au Japon et non de créations artistiques, voire d’inculturation.
L’ouvrage de Sylvie Morishita aborde bien d’autres sujets, telles l’école d’art des jésuites et la production d’œuvres profanes.
Les pages sur l’e-fumi sont particulièrement émouvantes. La pratique « est tout d’abord le miroir de l’attachement envers les images, constaté chez les chrétiens japonais toutes catégories sociales confondues » (p. 144). « Par ailleurs les fumi-e sont comme un instantané des dévotions introduites par les missionnaires au premier rang desquelles figurent les souffrances du Christ lors de la Passion, auxquelles sont associées les souffrances de la Vierge » (p. 145). Or, « ce qui était voulu par les missionnaires comme signe d’identité chrétienne a été retourné contre les chrétiens par les autorités japonaises pour causer leur chute. le système était particulièrement pervers, car il n’y avait aucune bonne solution pour les chrétiens : soit ils refusaient de piétiner les images et c’était la mort dans de longues tortures, soit ils piétinaient l’objet de leur foi et ils étaient coupables de trahison. Les chrétiens japonais ont assumé cette culpabilité, continué à piétiner les images et transmis leur foi à leurs descendants secrètement pendant 250 ans » (p. 145).