L’art des missions catholiques au Japon
(XVIe-XVIIe siècles)
Sylvie Morishita
Préface de François Bœspflug
Paris, Le Cerf, 2020 (Cerf Patrimoines)
348 p.
Depuis dix ans, les études consacrées à l’art lié aux premières missions catholiques au Japon se sont multipliées. Citons, par exemple, celle de Teresa Canepa (« Namban Lacquer for the Portuguese and Spanish Missionaries », Bulletin of Portuguese – Japanese Studies, 2009, 18-19, p. 253-290) et plus récemment celle de Rie Arimura (« Nanban Art and his Globality: a Case Study of the New Spanish Mural The Great Martyrdom of Japan in 1597″, Historia y Sociedad, 2019, 36, p. 21-56). Il manquait cependant une synthèse en langue française, accessible au grand public. L’ouvrage de Sylvie Morishita, issu de son travail doctoral, vient combler ce vide.
Grâce à un premier chapitre qui relate le cadre historique des missions et à un deuxième faisant état de la survivance du corpus, le lecteur novice n’est pas désemparé. Il peut ensuite saisir pleinement les enjeux de ce double mouvement artistique, de l’Europe vers le Japon et du Japon vers l’Europe. Subtilement, s’entremêlent des données économiques et des espérances prosélytiques habilement soulevées par les jésuites, mal servies – il faut le reconnaître – par l’Ordre des Prêcheurs. Les œuvres d’art préservées, par confiscation des autorités japonaises ou par le soin des catholiques japonais persécutés, témoignent à elles seules de ces échanges. Cependant, les documents manquent pour justifier, par exemple, la présence d’estampes à sujets dominicains, à moins que l’effigie de saint Hyacinthe, dévot de la Vierge Marie, n’ait été qu’un moyen parmi d’autres de promouvoir le culte marial. Sous cet angle, l’estampe figurant saint Bernard agenouillé devant une apparition de la Vierge avec l’Enfant Jésus jouerait le même rôle.
Le corpus d’estampes conservé à Tokyo et à Kobe est sans doute restreint par rapport aux importations réalisées par les Ordres religieux aux XVIe et XVIIe s. mais il est suffisant pour témoigner de l’incroyable circulation entre l’Europe et le Japon de ces feuilles qui, bien pressées, prenaient relativement peu de place dans les bateaux. Sylvie Morishita y consacre un passionnant chapitre en tête de la deuxième partie.
Ces estampes ont sans nul doute inspiré des copies japonaises, tant en gravure qu’en peinture. Il faut sans doute accepter, plus que ne le fait l’auteur, qu’il s’agit de transferts avec des adaptations techniques propres au Japon et non de créations artistiques, voire d’inculturation.
L’ouvrage de Sylvie Morishita aborde bien d’autres sujets, telles l’école d’art des jésuites et la production d’œuvres profanes.
Les pages sur l’e-fumi sont particulièrement émouvantes. La pratique « est tout d’abord le miroir de l’attachement envers les images, constaté chez les chrétiens japonais toutes catégories sociales confondues » (p. 144). « Par ailleurs les fumi-e sont comme un instantané des dévotions introduites par les missionnaires au premier rang desquelles figurent les souffrances du Christ lors de la Passion, auxquelles sont associées les souffrances de la Vierge » (p. 145). Or, « ce qui était voulu par les missionnaires comme signe d’identité chrétienne a été retourné contre les chrétiens par les autorités japonaises pour causer leur chute. le système était particulièrement pervers, car il n’y avait aucune bonne solution pour les chrétiens : soit ils refusaient de piétiner les images et c’était la mort dans de longues tortures, soit ils piétinaient l’objet de leur foi et ils étaient coupables de trahison. Les chrétiens japonais ont assumé cette culpabilité, continué à piétiner les images et transmis leur foi à leurs descendants secrètement pendant 250 ans » (p. 145).