Pour Frère Gilles Danroc
Pour Claire-Lise Poublan
Dans la nuit du jeudi 7 mai au vendredi 8 mai 2020, un cliché a été pris à Saint-Domingue captant la statue d’Antonio de Montesinos (1475-1540) masquée et éclairée par la si belle super lune.
C’est avec Las Casas que nous étions partis en confinement, c’est avec son prédécesseur que je propose de déconfiner.
Avec lui qui lança un cri contre la violence faite aux indiens, j’aimerais reposer la question du prix d’une vie humaine en cette pandémie.
Car ce fut un coup de poing à l’estomac, hier, d’entendre un prêtre me dire qu’il aurait mieux valu avoir 50 000 morts plutôt qu’une crise économique et qu’il n’est guère important qu’une personne âgée meure un peu plus tôt.
Je ne me leurre pas : ces propos sont partagés par un certain nombre de personnes qui les expriment en catimini ou sur la place publique quand il s’agit de dirigeants, de manière voilée (« toutes ces mesures sont exagérées ») ou crues.
La pandémie a donné un tour réel aux questions de morale, débattues, ordinairement, à huis clos par les philosophes et les théologiens : vaut-il mieux opter pour une approche conséquentialiste (accepter le sacrifice d’une personne ou d’un groupe de personnes pour sauver le plus grand nombre) ou pour une approche déontologiste (l’être humain ne peut être réduit à un simple moyen en vue d’une finalité ; il est lui-même une fin) ?
Il n’y a sans doute pas, dans des situations extrêmes, de réponse immédiate et facile.
En France, pays d’où j’écris, l’État et le système hospitalier ont refusé et ont eu les moyens de ne pas sacrifier des patients au profit d’autres. Et l’État a fait le choix de considérer la vie des personnes âgées comme aussi précieuse que celle de toute la nation.
Libre à chacun d’avoir une conscience aiguë de sa finitude et de ne pas avoir souci d’être victime du coronavirus (à condition de renoncer aussi à demander aux soignants un surcroît de travail).
Il reste que le dilemme persiste et que le citoyen, fût-il un médecin de ville ou un épidémiologiste de renom, n’a que peu d’outils et de connaissances sur le virus pour forger son opinion, ramener ses croyances à une objectivité et poser ses choix.
En outre, la peur du bouleversement économique mondial qui va fragiliser de nouvelles populations et la crainte d’une montée des populismes peut conduire à cesser de regarder chaque homme comme le bien le plus précieux aux yeux de Dieu.
La personne âgée, le malade du covid-19, le travailleur mis au chômage, le pauvre sans ressource, chacun est celui pour qui le Christ a donné sa vie… chacun est celui pour qui nous sommes invités à déployer toute notre énergie et notre créativité pour qu’il vive.
Serait-ce la réponse à apporter, au prix de nos propres vies de bien-portants ?
Les images de papier auxquelles je suis attachée et l’Histoire, science que je privilégie pour ma réflexion, n’apportent jamais une réponse que j’aimerais immédiate et infaillible.
Le dialogue demeure toujours une chance inouïe de progresser. Merci pour le partage de vos réflexions.
Cliché : ORLANDO BARREA / EFE / MAXPPP.
P. S. : Plusieurs journaux, tel Le Monde, ont également soulevé la question du « tri des malades« , autre sujet éthique poignant.