
Les images de dévotion en Europe (XVIe-XXIe siècle)
Une précieuse histoire
Dominique Lerch, Kristina Mitalaité, Claire Rousseau, Isabelle Séruzier, dir.
Paris, Beauchesne, 2021
En souscription jusqu’à la parution, prévue en juin 2021 : 29 euros.
Après parution : 42 euros.
Souvenirs du colloque de 2019 : ici.
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Les objets de dévotion (images, chapelets, statuettes, chemins de croix portatifs…) font partie de la vie quotidienne des chrétiens depuis des siècles. La bibliothèque dominicaine du Saulchoir (Paris) est reconnue comme un point de passage obligé pour leur étude. Sa collection d’images de dévotion, qui compte plus de 200 000 pièces classées, constitue un corpus majeur dans ce domaine encore peu étudié.
Depuis la recherche pionnière d’Adolf Spamer en 1930 et, beaucoup plus tard, l’exposition sur Un siècle d’ images de piété, 1814-1914 organisée au Musée-galerie de la SEITA en 1984, ce corpus et d’autres collections ont commencé à être défrichés. Mais il manquait une confrontation des diverses approches de ces images et un bilan ouvrant des pistes de recherches, à l’exemple des catalogues d’exposition réalisés à Piombino. Pour combler cette lacune, un colloque international, « Précieux souvenirs : histoire de l’imagerie de dévotion en Europe », organisé par la bibliothèque du Saulchoir en collaboration avec l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, s’est tenu à Paris les 21 et 22 novembre 2019.
Ce volume rassemble les contributions des intervenants à ce colloque, qui a accordé une large place aux collectionneurs et tracé de riches perspectives. Après un rappel de l’intérêt manifesté par l’ordre des Prêcheurs pour les images de dévotion, il offre un aperçu des recherches portant sur la création, l’édition et la diffusion en France de ces images, mais aussi sur leur iconographie et les courants artistiques qui les ont illustrées, sur la place qu’y tient l’histoire et sur leurs usages, y compris dans le monde protestant. Si la France occupe une place privilégiée dans ces études, plusieurs spécialistes élargissent notre regard en se penchant sur la production des images de dévotion en d’autres pays européens : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne. Un volume essentiel pour mieux mesurer la diversité inattendue de ces images et leur fonction dans la société, et ainsi mieux cerner certains aspects du christianisme vécu en Europe du XVIe siècle à nos jours.
SOMMAIRE
Préface, Joseph DE ALMEIDA, o.p.
Des images pour des yeux curieux. De l’imagerie de dévotion à l’ « art de Saint-Sulpice », Isabelle SAINT-MARTIN
Première partie L’Ordre des Prêcheurs face à l’image de dévotion
La collection d’images de piété de la Bibliothèque du Saulchoir, Michel ALBARIC, o.p.
Entre images de dévotion et gravures d’illustration : la série dominicaine de la famille Landry, Claire ROUSSEAU, o.p.
Penser les images de dévotion à partir des hypothèses de Serge Bonnet sur le catholicisme populaire Yann RAISON DU CLEUZIOU
Trois générations de missels et leurs images, Michel MALLÈVRE, o.p.
Deuxième partie Création, édition et diffusion en France (XVIIe-XXe siècle)
L’image de dévotion mise en scène du XVIIe au XIXe siècle : canivets, papiers roulés et colifichets, Bernard BERTHOD
L’image d’Épinal, support de dévotion populaire au XIXe siècle, Christelle ROCHETTE
Les images pieuses peintes sur feuille de gélatine, Jean-Pierre DOUSSIN
D’Orléans à Paris : les éditions d’imagerie religieuse Blanchard et Pannier, une histoire de familles, Marie Pierre ELAUDAIS-BLANCHARD
Les images de dévotion et l’imprimatur diocésain (1865-1965) : prologue à une réflexion Dominique LERCH
Troisième partie Iconographie et courants artistiques
Monument à la gloire de Marie Commemorating the Klauber brothers in 19th century Paris, Peter STOLL
Claudius Lavergne et l’imagerie de piété : de Gustave Doré à Louis-Joseph Hallez, Auriane GOTRAND
Les peintres nazaréens et l’image de dévotion en France (1850-1960), Dominique LERCH
Les illustrateurs d’images pieuses de 1850 à nos jours, Évelyne SIGOILLOT-MEYER
Quatrième partie Usages et pratiques autour de l’image de piété
Y a-t-il une image de dévotion protestante ? Les petites images bibliques protestantes, Gustave KOCH
Des images à vivre. Thérèse de Lisieux et l’image de piété à la fin du XIXe siècle, Sylvie MANUEL-BARNAY
Un siècle d’histoire de France à travers des images pieuses (1840-1960), Christian EHRMANN
De l’usage de l’image de dévotion en Italie au XXe siècle. Propagande politique et campagnes militaires, les santini militari, Biagio GAMBA
Souvenirs mortuaires français (1840-1889), Bruno BLASSELLE
L’image de dévotion chrétienne sur les réseaux numériques, David DOUYÈRE
Cinquième partie L’image de dévotion : regards européens
Les études sur l’image de dévotion en Allemagne. D’Adolf Spamer à nos jours, Konrad VANJA
L’image de dévotion en Espagne, Jean-François BOTREL
L’image de dévotion dans la République des Provinces-Unies au XVIIe siècle, Évelyne VERHEGGEN
L’image de piété en Pologne à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècle) Christine MOISAN-JABLONSKI
Conclusion, Jean-Claude SCHMITT
Bibliographie
Index
Les auteurs
Recension par le journal La Croix, 28 octobre 2021
Par Dominique Greiner
Les images de dévotion ont modelé la sensibilité chrétienne populaire, en dehors de tout contrôle clérical.Les Images de dévotion en Europe (XVIe– XXIe siècle). Une précieuse histoire
Nous avons tous eu entre les mains une de ces images rappelant un événement religieux – communion, ordination, engagement dans une association pieuse, pèlerinage, deuil – ou incitant à la dévotion. Nous l’avons ensuite soigneusement sinon pieusement glissée dans une bible ou un missel, où elle en a rejoint d’autres plus anciennes. Il nous arrive de retomber dessus, d’y voir une scène biblique, une figure de saint, un communiant, et d’y lire un nom, une date, une maxime, un verset de l’évangile. De telles images, la bibliothèque dominicaine du Saulchoir (Paris) en détient plus de 200 000.
Cette collection si particulière est à l’origine d’un colloque qui s’est tenu en novembre 2019, à Paris, et a réuni des spécialistes de différentes disciplines, des conservateurs ou de simples collectionneurs. Ce volume collectif, qui comprend une trentaine de pages en couleurs pour montrer ces images, en recueille les actes. Il offre un aperçu des recherches sur la création, l’édition et la diffusion de ces images (et leurs déclinaisons : colifichets, canivets, paperoles, scapulaires) en France mais aussi dans d’autres pays européens, et montre l’intérêt de ce corpus longtemps négligé, car c’est une source importante de documentation sur la foi populaire.
Ces images de piété, acquises, données, échangées, conservées, ont – comme d’autres objets de dévotion maniés au quotidien – modelé la sensibilité chrétienne pendant plusieurs siècles. S’intéressant au seul corpus des images de piété, environ 220, retrouvées dans les livres et le bréviaire de Thérèse de Lisieux, Sylvie Manuel-Barnay souligne combien celles-ci ont nourri l’imagination de la sainte carmélite et ont influencé son écriture et ses réalisations artistiques.
Ces images témoignent aussi de la profonde inscription de la ritualité catholique, sur les plans individuel, familial et social. « Les images de dévotion sont à la fois l’instrument et la manifestation du caractère social des rites catholiques qui s’intègrent à un groupe et contribuent donc à le constituer. La famille d’abord mais aussi au-delà, la paroisse et les cercles de l’amitié et du voisinage. À cette fin, les images rappellent la mémoire et prolongent l’effet des rites de passage qui sont la matrice de la condition chrétienne dans sa dimension sociale », relève Yann Raison du Cleuziou.
« Les images permettent aussi de mesurer l’importance de l’Église comme matrice de collectifs : troupes scoutes, pèlerins de Chartres, groupes de retraitants », indique encore ce spécialiste de l’histoire du catholicisme contemporain. Elles sont « une traduction matérielle d’une culture orale et visuelle du langage religieux populaire » qui échappe de fait au contrôle clérical.
Les images sont « l’équivalent religieux des “antennes-relais” car elles permettent de diffuser le sacré et élargissent par conséquent les voies d’accès à Dieu ou aux saints. Elles sont le réseau “bas débit” de la piété », le missel étant « l’album “Panini” où se collectent ces souvenirs, une réserve de mémoire, de résolutions et d’émotions », risque Yann Raison du Cleuziou. C’est pourquoi il ne faut pas s’arrêter à la qualité esthétique de ces images, estime Bernard Berthod, conservateur du Musée d’art religieux de Fourvière à Lyon. Ce serait passer à côté d’une fonction essentielle qu’elles remplissent : « Ces objets sont, avant tout, des outils de médiation entre la terre et le ciel, le monde visible et le monde invisible, pour les fidèles modestes comme pour les princes de ce monde. »
Ces images qui témoignent de l’évolution des dévotions et des goûts esthétiques sont aussi parfois des « outils de propagande, d’adhésion ou de contestation », par exemple quand elles rapportent la version catholique de certains événements récents, relève Christian Ehrmann, un collectionneur d’images de missel.
Finalement, le lecteur de ces actes comprend que les images sur lesquelles il peut tomber ne sont pas seulement des traces du passé. Les noms, les dates, les lieux, les événements qui y sont inscrits racontent l’histoire d’une foi incarnée et donc un passage de témoin d’une génération à l’autre. Pour que cette histoire continue.