Pour Fr. Augustin Laffay, Archiviste de l’Ordre, confiné à Rome
Le Carême a doublé sa quarantaine par des mises en quarantaine de durées variables.
Bientôt, dans de nombreux pays du globe, les prêtres célébreront la Grande Semaine Sainte dans des églises vides de fidèles.
Il n’y aura pas de foule pour acclamer son Roi, le jour des Rameaux, et les fidèles ne pourront pas emporter chez eux une palme, sacramental auquel ils sont si attachés.
Les temps modernes (XVe-XVIIIe siècles) furent particulièrement attentifs à un autre sacramental, objet béni uniquement par le pape, offert et rapporté dans les maisons comme porteur de grâces divines, notamment de protection : l’Agnus Dei.
À l’origine, les Agnus Dei, médaillons de cire, étaient confectionnés à partir des restes du cierge pascal de l’année précédente. À l’époque moderne, les cierges de Rome ne suffirent plus et une cire particulièrement pure et blanche, provenant notamment de Venise leur fut adjointe, ainsi que du Saint Chrême et du baume. Les médaillons étaient bénis par le pape, le mercredi de Pâques. De par leur cire et de par la représentation sur l’une de leur face de l’Agneau pascal, ils rappelaient le sacrifice du Christ et sa Résurrection. Sur cette face étaient également gravés le nom du pape, voire ses armoiries, et l’année en cours. Les papes de l’époque moderne firent fondre les Agnus Dei, la première année de leur pontificat et au cours de la septième, mais également lors d’années marquées par un événement particulier (jubilé, canonisation). De ce fait, le verso du médaillon qui représentait le Christ ou la Vierge Marie, accueillit également les effigies des nouveaux saints.
Les Agnus Dei étaient offerts accompagnés par une feuille explicative, telle celle de 1662 reproduite comme exemple par Bernard Picart en 1723. Y étaient énumérées dans la prière de bénédiction papale leurs propriétés apotropaïques et spirituelles.
Portés sur soi ou précieusement conservés dans des reliquaires à paperolles, exposés dans des monstrances, les Agnus Dei demeuraient fragiles dans leur matérialité mais bon nombre ont traversé les siècles.
Pie V, dominicain pape, fit produire des Agnus Dei à deux reprise, en 1566, première année de son pontificat, et en 1572, dernière année. Or, un siècle plus tard, en 1678, une femme de médecin, dévote d’un Agnus béni par Pie V, se releva miraculeusement de couches qui auraient dû l’emporter. Le miracle fut reconnu en faveur de la canonisation du pape et l’Agnus acquit le statut de relique de contact.
À la suite de la canonisation de Pie V en 1712, Clément XI décida donc de faire fabriquer des moules à l’effigie de son prédécesseur. Les premiers sont datés de 1714. Ils furent repris en 1731 par Clément XII et en 1741 par Benoît XIV .
Avec ou sans Agnus Dei, il est toujours possible de demander à Pie V d’intercéder auprès de l’Agneau de Dieu pour que chacun soit préservé en ce temps d’épidémie.
Brève bibliographie
BARBIER DE MONTAULT X., De la dévotion aux Agnus Dei, Paris, E. Repos, 1867.
GALANDRA COOPER Irene, « Investigating the ‘Case’ of the Agnus Dei in Sixteenth-Century Italian Homes », CORRY Maya, FAINI Marco, MENEGHIN Alessia, dir., Domestic Devotions in Early Modern Italy, Leiden ; London, Brill, 2008, (Intersections, 59), p. 220-243.
LEPOITTEVIN Anne, « Images et usages de l’Agnus Dei à l’époque moderne », COUSINIÉ Frédéric, dir., Connecteurs divins. Objets de dévotion en représentation dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIIe siècle). Colloque, Rouen, Archevêché, 15 juin 2018.
– « Picciolini, picolini et piccioli. La fabrique romaines de Agnus Dei (1563-1700) », Archives de Sciences sociales des religions, 2018, 183, 87-117.
– « Les ‘Agnus Dei’ en cire : des objets de culte ? », Barbara Baert, Marie-Christine Claes, Ralph Dekoninck, dir., Ornamenta sacra. Late Medieval and Early-Modern Liturgical Objects in a European Context (1400-1800). Colloque, Bruxelles, KIK-IRPA, 24-26 octobre 2019 (actes à paraître).
Estampe
Bernard Picard (1673-1733), Les vertus de l’Agnus Dei, 1723. Burin, dimensions non renseignées. Planche pour Ceremonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde Representées par des Figures dessinées de la main de Bernard Picard […], A Amsterdam, Chez J. F. Bernard, Tome Premier, 1723. BnF, cote : RES-G-560.